Interview proposée en collaboration avec Vincent Panneels, 20/CENT Retail.
Poursuivons notre série d’entretiens entamée à la suite des élections législatives de juin et continuons à prendre le pouls du côté des organismes et fédérations du secteur alimentaire, afin de connaître leurs priorités, perspectives et attentes à l’égard des nouveaux gouvernements. Michael Gore, Managing Director de la FEBEV (Fédération belge de la Viande) s’est prêté au jeu.
Quelle est la principale préoccupation de la FEBEV actuellement ?
L’un des gros chantiers – pour ne pas dire LE gros chantier – c’est celui de la compétitivité de nos entreprises.
Dans notre pays, les charges liées au travail sont très importantes et nous perdons notre place sur le marché européen face à d’autres nations, comme l’Espagne ou l’Allemagne.
De plus, nous sommes face à une pénurie de main d’œuvre, qui n’arrange rien et devrait nous pousser à investir davantage dans l’automatisation de ligne.
Bref, sur le marché unique européen, nous constatons que nous ne sommes pas tous confrontés aux mêmes conditions. Il appartient donc au gouvernement d’agir pour un marché du travail plus équitable, qui rendra nos entreprises plus compétitives dans les démarches commerciales internationales.
Y a-t-il d'autres chantiers importants pour le secteur de la viande ?
Bien entendu, en marge et en lien avec le chantier de la compétitivité, d’autres priorités connexes requièrent aussi toute notre attention, notamment l’entrée en vigueur prochaine de la règlementation européenne EUDR, liée à la déforestation.
L’Union Européenne a défini toute une série de règles qui valent pour des cultures telles que le soja, le cacao etc. mais qui touchent aussi la viande bovine. Concrètement, à partir de 2025, il faudra prouver que les bovins ont occupé des pâtures qui ne relèvent pas de terres sujettes à la déforestation. Or en Belgique, il n’existe actuellement aucun outil pour démontrer et garantir le respect de cette réglementation, ce qui préoccupe à juste titre les organisations agricoles. Car le timing devient très serré : lorsque le gouvernement rentrera de vacances et se mettra réellement en place, on sera déjà en septembre. C’est très tard par rapport à 2025 et à l’entrée en vigueur de la réglementation. Or si nos produits ne disposent pas de déclaration prouvant leur conformité avec ces nouvelles règles, les retailers ne seront pas en mesure de les commercialiser. Le politique doit s’emparer de ce problème de toute urgence.
Il y a également une autre actualité qui nous préoccupe et qui concerne l’ensemble de la chaine de la viande : nous entrons dans la phase finale de la révision des expertises dans les abattoirs en Belgique, un travail qui a commencé en 2019 et qui va se terminer cette année. Cette révision prévoit notamment la participation de vétérinaires indépendants aux contrôles des abattoirs. Or, ceux-ci sont en sous-effectifs, et ils ont en outre émis des revendications pour réclamer des rémunérations plus élevées, en lien avec leur charge de travail. Cela va immanquablement impacter le prix du produit final.
Bref, dans ce contexte, notre demande principale est encore et toujours la compétitivité. Si à tous les niveaux, il est exigé que les produits de la viande soient respectueux des règles, des rémunérations, etc., il faut tenir compte des coûts liés ces exigences et donc de l’impact sur la compétitivité de nos entreprises.
Enfin, je pointerais un dernier challenge, celui de la rétention des connaissances. Un challenge lié à l’évolution du marché du travail vers plus de mobilité : il est rare aujourd’hui qu’une personne travaille toute sa vie au sein de la même société. Ces mouvements sur le marché du travail impliquent chaque fois une perte de connaissance à gauche et à droite et l’enjeu pour les entreprises est de maintenir néanmoins leur niveau d’expertise. C’est pourquoi, nous avons mis en place avec Alimento* toute une série de formations pour que les personnes qui arrivent dans le secteur soient mieux informées et mieux formées.
* Alimento est le fond de formation pour le comité paritaire 118, secteur de l’Alimentaire.
Comment avez-vous défini ces chantiers ?
Les projets ou objectifs à moyen et long terme sont décidés au niveau de notre conseil d’administration.
Mais comme nous sommes plusieurs maillons dans une chaîne, nous sommes aussi à l’écoute des autres. Nous sommes attentifs aux remontées des manifestations dans d’autres chaînes. Nous veillons également à rester informés des remontées issues des contrôles Afsca et d’autres services d’inspection. Et puis, nous sommes aussi bien entendu à l’écoute des retours du terrain.
Une idée qui nous tient à cœur c’est l’image du secteur. Nous y travaillons depuis plusieurs années. On peut faire un maximum de promotion et multiplier les campagnes d’image. Mais, on s’aperçoit que sur le long terme, il est primordial de fournir des efforts sur le fond et pas uniquement sur l’image. C’est pourquoi être à l’écoute et attentif est très important pour la fédération.
Quels sont les enjeux que le secteur de la viande souhaite voir être traités par le nouveau gouvernement lors de la prochaine législature ?
Il y en a plusieurs. Un des premiers problèmes est celui de la peste porcine africaine en Allemagne : nous recevons des messages toutes les semaines concernant la progression de la maladie. Il y a un risque de propagation en Belgique, qui pourrait compromettre tous les efforts fournis à l’export. Or en Belgique, avec le partage des compétences aux niveaux fédéral et régional, aucune mesure de vaccination ou autre n’est actuellement mise en place. La chasse organisée pourrait être une solution. Mais il faudrait que les échanges entre les régions et le fédéral soient plus nombreux pour aboutir à des décisions.
Bien entendu, comme déjà évoqué, le gouvernement devra s’atteler à améliorer la compétitivité. Avant les élections, le secteur alimentaire a martelé cette demande. Maintenant que les élections sont passées, le gouvernement doit se mettre au travail.
Il y a aussi le dossier de l’alignement des contrôles. Notre secteur se soumet à de nombreux contrôles mais, cette fois encore, avec des divergences entre les régions, qui n’ont pas toujours de sens pour des producteurs qui travaillent au niveau national et exportent hors des frontières belges. Par exemple, un producteur peut élever du bétail dans une région et effectuer l’abattage dans une autre avant de vendre ses produits ailleurs en Europe. Les différences de région en région au niveau des contrôles ne facilitent pas les choses.
Le gouvernement devra aussi rester actif sur l’important dossier de la résilience et de la continuité d’approvisionnement des marchés. À la suite des différentes crises, telles que le Covid ou encore l’éclatement du conflit ukrainien, il y a eu un travail pour améliorer la résilience et sécuriser les approvisionnements nationaux. Dans le contexte actuel au niveau international, il est important de continuer ce travail.
En Belgique, nous avons certes une industrie qui est solide et forte. Mais pour être résilient, l’idéal serait d’avoir une solidarité et une meilleure coordination entre les Etats membres et régions d’Europe. Le travail a commencé et doit se poursuivre.
Un dernier dossier, qui est lié aussi à la compétitivité de notre secteur, est celui de la pénurie de main d’œuvre. Nous sommes sur la liste des professions en pénurie. Mais malheureusement, nous constatons qu’il n’y a pas vraiment de plans d’actions, avec des résultats concrets et positifs pour les entreprises.
Idéalement, comment souhaitez-vous collaborer avec les autorités sur ces dossiers durant la prochaine législature ?
Cette collaboration, je la résumerais en un mot : cocréation.
Ces dernières années, on a eu trop de « top down », avec des réglementations imposées aux entreprises. Nous devrions évoluer vers plus de concertation. Dans certains dossiers, même et surtout les plus épineux et difficiles, il ne faut pas oublier d’inclure les entreprises dans les échanges et les démarches.